Amazonie sacrifiée : une enquête photographique sur l’extractivisme

Cet essai photographique de l’artiste et sociologue Daniela Beltràn B. recueille des témoignages des populations impactées par l’exploitation minière dans la province de Napo en Équateur. Entre dégradation environnementale et exploitation humaine, il documente le processus par lequel un espace de vie devient une zone sacrifiée sur l’autel de la mondialisation productiviste.

Au cours des dernières décennies, des zones sacrifiées ont émergé en Amérique latine en raison de l’avancée destructrice des modèles de production capitalistes. Bien qu’il n’existe pas de définition claire de ce concept dans la littérature scientifique, il a été utilisé principalement pour décrire des espaces géographiques périphériques où les populations historiquement marginalisées ont été destinées par les États et les élites nationales à accumuler et subir les conséquences négatives d’activités industrielles hautement polluantes. Ces activités non seulement dégradent l’environnement, mais compromettent également la qualité de vie, la condition économique et la santé physique et mentale des habitant·es, au nom du développement capitaliste (Lerner, 2010).

La région nord de l’Amazonie équatorienne a une longue histoire liée aux pratiques extractivistes, motivées par la demande mondiale de produits tels que les épices, la quinine, la tagua et le caoutchouc depuis le XIXe siècle (Santos-Graneros, 1996 ; Fontaine, 2006). Depuis lors, les populations autochtones ont été gravement touchées, subissant des processus de dépossession et de violence. Actuellement, la province de Napo, située dans la région amazonienne du nord de l’Équateur, abrite des peuples autochtones Kichwa et Waorani, ainsi que des populations métisses et des colons qui ont migré depuis d’autres régions du pays au cours des dernières décennies. La province est traversée par les rivières Napo, Coca, Jatunyaku, Anzu et Misahualli, qui sont importantes pour le maintien de l’écologie du bassin amazonien et sont également la seule source d’eau douce pour des milliers de familles indigènes riveraines vivant dans toute la région.

À partir de 2000, Napo a vu l’extraction de ses ressources naturelles croître significativement, notamment avec l’exploitation aurifère alluviale, dont l’activité a augmenté de 300 % entre 2015 et 2021 (Ecociencia, 2022). Malgré les efforts sociaux, juridiques et politiques visant à freiner la destruction des écosystèmes et la dégradation sociale associées à ces activités, la crise environnementale et humaine dans la région n’a fait que s’aggraver. On estime qu’au moins 90 % de ces activités sont illégales et, selon les avocats spécialisés dans les droits de l’homme et de l’environnement, même les processus considérés comme légaux ne répondent pas aux cadres législatifs nécessaires pour atténuer l’impact environnemental et social de l’exploitation de l’or. L’expansion de l’exploitation minière sur le territoire se fait en violation constante des droits constitutionnels, comme le droit à la consultation préalable, libre et informée, qui a été mis en œuvre en 2008 pour garantir aux peuples et nationalités autochtones l’autodétermination et l’autonomie sur leurs terres, ainsi que les droits de la nature, qui établissent le plein respect de ses cycles, de son évolution et de sa reproduction.

Des gangs du crime organisé opèrent dans la province. Des preuves existent également de l’implication de fonctionnaires publics dans l’exploitation minière illégale. Et malgré les plaintes judiciaires contre le gouvernement équatorien, les efforts politiques et la pression de la société civile exhortant l’État à agir contre l’expansion effrénée de l’exploitation minière, le gouvernement n’a pas été en mesure de résoudre la crise actuelle dans la province.

Cet essai photographique fait partie d’un projet de recherche en cours, pour lequel j’ai mené quinze entretiens avec des avocat·es, des politicien·nes, des autochtones, des travailleurs dans les mines et des militant·es, et recueilli des documents audiovisuels depuis 2023. Depuis lors, la propagation des fronts miniers continue de dégrader de manière alarmante l’environnement, la société et la santé de celles et ceux qui habitent ce territoire. Ci-dessous, je partage des photographies prises dans ce contexte, ainsi que les témoignages anonymes des personnes interrogées pour cette enquête, qui visent à expliquer comment la province de Napo est en train de devenir une zone de sacrifice du fait de l’extractivisme.

Le bassin du Napo. Source : Wildlife Conservation Society.

« Nous disposons d’une loi qui reconnaît les Droits de la Nature, mais le gouvernement central est le premier à violer ces droits et, par conséquent, les Droits des Peuples et Nationalités qui peuplent ce territoire. Les rapports du Bureau du Contrôleur général de l’État le soulignent et exigent que le gouvernement central réexamine la question de l’exploitation minière, parce que ce n’est pas une activité rentable pour l’État, puisque la majeure partie de l’or est extrait de manière illégale, et il n’existe aucune déclaration sur la quantité d’or restante ni sur la perception des redevances pouvant être redistribuées aux secteurs exploités ou affectés par l’exploitation minière. »

« Dès la présence même des mineurs, qui sont des personnes extérieures à la communauté, on observe qu’ils s’imposent essentiellement par la force et en semant la division au sein de celle-ci, leur stratégie étant d’acheter un leader. S’ils ne peuvent pas l’acheter, ils en achètent un autre et en font leur chef. On voit des territoires se doter de nouveaux dirigeants, diviser des familles, acheter des fils, des pères, des neveux ou des oncles, et ainsi d’innombrables conflits éclatent au sein de la communauté. »

« Certaines familles sont intimidées et menacées de mort par les opérateurs et les ingénieurs. Elles doivent résister ou abandonner leurs territoires et se réfugier ailleurs, car ces lieux ne sont plus propices à la vie ; il n’y a plus de sécurité dans ces zones. Les gens choisissent de migrer. La migration est très forte. »

« Dans les communautés où se déroulent des opérations minières, la traite des êtres humains est très courante, en particulier celle des filles, des adolescentes de dix ans et plus. Les personnes qui viennent dans ces communautés recherchent des filles, des filles vierges, comme on dit (…) Et elles sont achetées entre deux et trois cents dollars. »

« Les écoles servent de garage pour l’entretien des machines ou pour le stockage de carburants et de produits chimiques comme le mercure et le cyanure, utilisés dans l’exploitation minière (…). Les parents préféraient emmener leurs enfants à la mine pour chercher de l’or, dès l’âge de sept ans, plutôt que de les envoyer à l’école. Et les plus jeunes n’y allaient pas non plus, car les enfants de six et cinq ans devaient rester sur place pour s’occuper des bébés. Les écoles étaient donc vides. »

« Un autre phénomène observé est le grand nombre de filles enceintes de moins de seize ans. On observe donc un taux de grossesse élevé dans les zones d’exploitation minière ; les taux de grossesse sont extrêmement élevés chez les filles de moins de seize ans, et même des filles de douze ans sont enceintes. Donc, selon notre réglementation, tout cela est considéré comme un viol, car il s’agit de mineures, n’est-ce pas ? Les rapports que les écoles et les collèges ont soumis aux ministères de l’Éducation et de la Santé font état d’alertes concernant un taux élevé de grossesses chez les filles, manifestement dues à des viols, et il est clair qu’il s’agit de viols. Des plaintes pour viol ont également été déposées auprès du parquet, ainsi que des signalements concernant l’échange de jeunes filles contre de l’argent, des avantages économiques ou des garanties de sécurité, souvent dans le but d’obtenir de meilleurs contrats avec les entreprises minières. La maltraitance de nos filles est donc extrêmement grave. »

« Toutes les études menées par des chercheurs indépendants révèlent des niveaux élevés de métaux lourds dans l’eau, tels que le cyanure, le zinc, le chrome et le fer, dépassant de 500 % la norme autorisée. À long terme, cette situation devient donc manifestement très préjudiciable pour les populations vivant sur les rives de nos principaux fleuves. »

« Nous avons déposé des plaintes, nous avons lancé des actions de protection, nous avons gagné tous ces procès, mais bien sûr, le jugement rendu demande de ‘préparer un plan de restauration’. Qui est censé élaborer le plan de restauration ? Le gouvernement, et il ne le fait pas. Et le tribunal ne statue plus, le non-respect n’est pas corrigé, et il faudrait alors se battre à l’international pour attirer l’attention de l’État équatorien sur les raisons pour lesquelles il ne respecte pas ses propres décisions. Mais cela demande aussi des ressources et du temps, et nous n’avons pas les moyens de poursuivre le combat juridique devant une instance internationale. »

« En quatre mois, ils ont détruit environ soixante-dix hectares de forêt primaire, soit cent vingt hectares au total, lit du fleuve compris. Ils ont pollué l’un des fleuves les plus emblématiques de la province de Napo, le Jatunyaku. Ce fleuve, avec l’Anzu, est un affluent direct du Napo. Ce dernier est même l’un des principaux affluents de l’Amazone. »

« Tout ce qui est impliqué dans cette extraction minière constituerait un véritable écocide et un ethnocide. Pourquoi un écocide ? À cause de la pollution environnementale qu’il engendre. Et pourquoi un ethnocide ? Parce que le fleuve est une source d’eau, une source d’eau potable pour les communautés vivant sur les rives droite et gauche. »

« Tu te rends compte que c’est comme un cancer qui avance silencieusement derrière les arbres et les rochers, et qui commence à suinter comme du pus, à travers les petites rivières qui se jettent dans les grandes rivières. »

Références

Fontaine, Guillaume (2006). “La globalización de la Amazonía: una perspectiva andina”. Íconos 25 (mai): 25-36.

Lerner, S. (2010). Sacrifice Zones. The Front Lines of Toxic Chemical Exposure in the United States, Cambridge, Mass.: MIT Press.

EcoCiencia (2022). MAAP #198: Expansion of mining in the Ecuadorian Amazon. https://ecociencia.org/maap-198-expansion-de-la-mineria-en-la-amazonia-de-ecuador/, consulté le 13 mai 2025.

Santos-Graneros, Fernando 1996. Globalización y cambio en la Amazonía indígena. Quito: Abya-Yala.

Comment citer ce texte

Daniela Beltrán B. , « Amazonie sacrifiée : une enquête photographique sur l’extractivisme », Les Temps qui restent, Numéro 5, Printemps (avril-juin) 2025. Disponible sur https://www.lestempsquirestent.org/it/numeros/numero-5/amazonie-sacrifiee-une-enquete-photographique-sur-l-extractivisme