Anthropocentrisme et Anthropocène
Les notions d’anthropocentrisme et d’Anthropocène sont de toute évidence étroitement liées. Cependant, on pose souvent les deux questions séparément et cela semble provoquer des réponses très différentes, conduisant à des effets opposés. Posez la question de l’Anthropocène dans les sciences humaines et sociales, et vous serez immédiatement englouti dans le tourbillon de débats féroces et de désaccords sur la définition de l’Anthropocène, ses débuts et origines, ses responsabilités historiques, et sur l’importance simultanée de mettre l’accent sur les différenciations sociales et d’aborder l’humanité de manière holistique. Posez la question de l’anthropocentrisme, et les conflits sur l’Anthropocène commencent soudain à s’apaiser pour laisser la place à une vision relativement consensuelle qui met en lumière des siècles de pensée et d’action centrées sur l’humain comme principaux moteurs des crises de l’Anthropocène d’aujourd’hui.
D’une part, les interprétations de l’Anthropocène sont multiples. On pourrait suivre la majorité des sciences humaines et sociales et utiliser l’Anthropocène au sens le plus large (et le plus vague) pour désigner les interactions entre l’homme et l’environnement. Mais on pourrait tout aussi bien mettre l’accent sur le contexte chronostratigraphique, dans lequel l’Anthropocène a fait l’objet d’un débat assez vif en vue de sa formalisation dans l’échelle des temps géologiques à l’échelle de l’époque, avec un début au milieu du XXe siècleVoir les travaux du groupe de travail sur l’Anthropocène, chargé d’étudier la formalisation de l’Anthropocène en tant qu’unité dans l’échelle des temps géologiques. Par exemple, Zalasiewicz et al, « The Working Group on the Anthropocene : Summary of Evidence and Interim Recommendations », Anthropocene 19 (2017) : 55-60 ; Jan Zalasiewicz et al. « The Anthropocene within the Geological Time Scale : A Response to Fundamental Questions », Episodes : Journal of International Geoscience (2023) disponible à l’adresse : https://doi.org/10.18814/epiiugs/2023/023025. Ce débat s’est conclu (provisoirement?) par la défaite du camp de l’Anthropocène et le rejet de la notion par la Commission Internationale de Stratigraphie, suscitant des protestations au sein de la communauté scientifique.. On pourrait encore mélanger ces points de vue et considérer que les relations entre l’homme et l’environnement atteignent un point où l’impact de l’homme sur l’environnement devient géologique. On chercherait alors à savoir si cela commence avec la domestication des animaux, avec l’expansion coloniale européenne ou avec la modernité industrielle et l’essor d’une économie fondée sur les combustibles fossilesPour donner un bref exemple d’un point de vue qui considère que l’Anthropocène coexiste avec l’Holocène en vertu de son association avec la domestication humaine des plantes et des animaux, voir Bruce D. Smith et Melinda A. Zeder, « The Onset of the Anthropocene », Anthropocene 4 (2013) : 8-13. Pour le relier au début du colonialisme européen, voir Heather Davis et Zoe Todd, « On the Importance of a Date, or Decolonizing the Anthropocene », ACME : An International Journal for Critical Geography 16, no. 4 (2017), 761-780. Pour la mise en avant de la modernité industrielle, du capitalisme et de l’économie des énergies fossiles, voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’évènement Anthropocène. L’histoire et nous (Paris: Seuil, 2013). Pour l’Anthropocène et la grande accélération de la seconde moitié du XXe siècle, voir Will Steffen et al, « The Trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration », Anthropocene Review 2, no 1 (2015), 81-98..
Parmi ces options diverses, on peut aussi penser, comme je le pense moi-même, que l’Anthropocène n’a guère de sens – pas même dans les sciences humaines et sociales – sans reconnaître le contexte de son développement dans la science du système terrestrePour un argument en faveur de la prise au sérieux de la science du système terrestre dans les engagements des sciences humaines et sociales vis-à-vis de l’Anthropocène, voir Zoltán Boldizsár Simon et Julia Adeney Thomas, « Earth System Science, Anthropocene Historiography, and Three Forms of Human Agency », Isis 113, no 2 (2022), 396-406.. En ce sens, l’Anthropocène ne se réfère pas simplement à un large « impact humain » sur la planète, la « nature » ou l‘« environnement ». Il s’agit plutôt d’une situation compliquée et relativement récente dans laquelle l’activité humaine dans le monde social différencié atteint un caractère systémique en poussant l’état de la Terre – considérée comme un système intégré – hors des conditions de l’Holocène qui soutiennent l’effort sociétal humain tel qu’on l’a connu jusqu’à présent, vers des conditions qui pourraient ne plus être hospitalières pour les sociétés humaines. Même si la question du changement climatique induit par l’homme domine les débats publics, la transformation anthropique du système climatique n’est qu’une des nombreuses transformations des systèmes terrestres induites par l’activité humainePour une vue d’ensemble des transformations anthropiques du système terrestre, voir le cadre des limites planétaires. Johan Rockström et al. « Planetary Boundaries : Exploring the Safe Operating Space for Humanity, » Ecology and Society 14, no. 2 (2009), art. 32 ; Will Steffen et al. « Planetary Boundaries : Guiding Human Development on a Changing Planet », Science 347, 1259855 (2015).. L’Anthropocène n’est ni un changement climatique, ni un changement environnemental singulier induit par l’homme, mais une transformation anthropique du système terrestre.
D’autre part, derrière toutes les interprétations conflictuelles de l’Anthropocène et tous les débats sur son commencement et les forces et systèmes sociaux qui en sont les causes, il n’y a guère de contestation sur ce qui se cache derrière toutes ces forces et systèmes sociaux liés à l’Anthropocène : l’anthropocentrisme. Qui plus est, peu importe ce que l’on pense de la question de ce qu’est l’Anthropocène, il y a une profonde convergence sur la question de ce qu’il faut faire ensuite : l’anthropocentrisme doit être surmonté. Et, en effet, cette injonction est tout à fait raisonnable. Si ce sont les modes de pensée et d’action centrés sur l’homme et traitant tout ce qui n’est pas humain comme des moyens pour atteindre des objectifs humains qui nous ont amenés au problème qu’est l’Anthropocène, il semble à la fois logique et sensé de suggérer que la voie à suivre consiste à devenir non anthropocentrique – ou, du moins, moins anthropocentrique.
Cela semble cependant plus facile à dire qu’à faire. S’il existe un consensus relatif sur les dommages causés par des siècles de poursuite d’une action centrée sur l’homme, l’impératif commun de surmonter l’anthropocentrisme (en tant que réponse adéquate à l’Anthropocène) nourrit un ensemble de paradoxes. Et, d’une certaine manière, ce n’est pas surprenant. Les paradoxes qui émergent dans le contexte de l’Anthropocène en relation avec l’impératif de surmonter l’anthropocentrisme ne sont pas les premiers suscités par la question de l’anthropocentrisme. Ils ne forment qu’un groupe récent dans un ensemble plus vaste de paradoxes autour de la question de l’anthropocentrisme, qui a pris de l’importance dans la seconde moitié du siècle dernier.
Pour comprendre la nouveauté de l’ensemble des paradoxes qui caractérisent la problématique de l’Anthropocène, je passerai donc d’abord brièvement en revue les deux paradoxes centraux de l’anthropocentrisme tels qu’on les a connus à la fin de la modernité. C’est sur cette toile de fond que, dans un deuxième temps, il deviendra possible d’explorer plus profondément les complexités de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène. Enfin, en guise de conclusion, les nombreux paradoxes de l’Anthropocène exigeront de poser la question suivante : l’anthropocentrisme peut-il être surmonté ?
Les paradoxes tels que nous les connaissons
La pensée environnementale de la seconde moitié du siècle dernier a remis en question l’anthropocentrisme dans plusieurs directions correspondant à différents courants de pensée, allant du mouvement de l’écologie profonde (deep ecology) jusqu’aux études animales. Certes, l’anthropocentrisme n’avait besoin d’être remis en question que dans les sociétés et systèmes de connaissance qui considéraient le monde humain comme séparé du monde naturel. Ce sont les sociétés et épistémologies occidentales qui, contrairement à de nombreuses sociétés, épistémologies et cosmologies indigènes, sont arrivées à cette séparation. Selon Carolyn Merchant, cela s’est produit pendant la révolution scientifique, lorsque l’émergence d’une nouvelle vision mécaniste du monde, qui considérait la nature comme un objet de contrôle humain, a remplacé une vision plus organique des relations entre l’homme et la nature qui caractérisait l’Europe pré-moderneCarolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology, and the Scientific Revolution (San Francisco : Harper & Row, 1990)..
Cela signifie que, dans les sociétés occidentales, la remise en question de l’anthropocentrisme concerne à la fois le fonctionnement quotidien et les hypothèses les plus profondes de la modernité. L’anthropocentrisme au cœur de la modernité est un complexe social et philosophique : les perspectives et hypothèses anthropocentrées se manifestent dans des systèmes socio-économiques et des pratiques sociales orientées par la technologie qui ont un caractère d’exploitation à la fois sur le plan social et environnemental. Rien ne témoigne plus clairement du caractère socio-environnemental de l’anthropocentrisme que la longue histoire de l’extractivisme et sa transformation structurelle plus récente engendrée par les pratiques néo-extractivistesVoir, par exemple, Alberto Acosta, « Extractivism and Neoextractivism : Two sides of the Same Curse », dans Permanent Working Group on Alternatives to Development, Beyond Development : alternative Visions from Latin America (Rosa Luxemburg Foundation, 2013), 61-86 ; Maristella Svampa, Neo-Extractivism in Latin America (Cambridge : Cambridge University Press, 2019)..
Partout dans le monde, les mouvements écologistes affrontent quotidiennement l’extractivisme et d’autres pratiques anthropocentrées dans leurs contextes sociaux immédiats. Mais, pour que ces mouvements réussissent – non pas dans des cas particuliers mais dans l’ensemble –, il est nécessaire d’aborder et de comprendre correctement les complexités de l’anthropocentrisme au niveau plus profond des hypothèses et des points de vue anthropocentrés qui alimentent ces pratiques. C’est précisément ce qu’a fait Arne Naess dans les années 1970. En développant une écosophie pour le mouvement de l’écologie profonde – l’écosophie étant comprise comme « une philosophie de l’harmonie et de l’équilibre écologiquesArne Naess, « The Shallow and the Deep, Long-Range Ecology Movement. A Summary », Inquiry : An Interdisciplinary Journal of Philosophy 16, no 1 (1973), 99. ». Naess a jeté les bases du mouvement en mettant en avant le niveau le plus profond, celui des présupposés. Cela ne veut pas dire que l’écologie profonde ne s’est pas intéressée pas à explicité les liens entre l’action sociale et ses prémisses philosophiques. Au contraire, le mouvement l’a fait de manière assez organique. C’est seulement que, dans un article de 1973 considéré aujourd’hui comme initiateur de l’écologie profonde, Naess a présenté comme le premier (et donc le plus fondamental) des sept principes du mouvement le « rejet de l’image de l’homme-au-sein-de-l’environnement en faveur de l’image relationnelle de champ de vue total » qui voit les organismes comme « des nœuds au sein du réseau ou du champ de la biosphère, où chaque être soutient avec l’autre des relations intrinsèques » Arne Naess, « The Shallow and the Deep, Long-Range Ecology Movement », 95..
Il n’est pas étonnant que le paradoxe fondateur de l’anthropocentrisme, décelé par la pensée environnementale de l’époque, fonctionne également au niveau des appréhensions du monde. Pour reprendre les termes de Christopher Manes en 1990, « le paradoxe de l’anthropocentrisme est qu’un monde conçu uniquement en fonction des fins humaines semble destiné à devenir inhospitalier pour toutes les fins humaines à long terme »Christopher Manes, Green Rage : Radical Environmentalism and the Unmaking of Civilization (Boston : Little, Brown and Company, 1990), 142.. Inutile de dire que ces mots gagnent des significations nouvelles aujourd’hui, alors que le concept de l’Anthropocène saisit les activités humaines au niveau du système Terre et que, par conséquent, le paradoxe devient également systémique. Nous y reviendrons plus tard. Pour l’heure, il semble plus important de retracer un second paradoxe connu avant la diffusion rapide du concept d’Anthropocène au cours des années 2000.
Le second paradoxe de l’anthropocentrisme émerge de la reconnaissance du premier et tourne autour du problème de la réparation des dommages de l’anthropocentrisme. Dès que l’on reconnaît que l’anthropocentrisme consume la planète, il est nécessaire de développer des pratiques, des modes de pensée, des épistémologies, des cosmologies, des visions du monde et des systèmes de connaissance qui se passent d’hypothèses anthropocentrées.
Au cours des dernières décennies du vingtième siècle, parallèlement à l’écologie profonde, plusieurs mouvements théoriques ont tenté de surmonter l’anthropocentrisme sur cette base. Dans les sciences humaines et sociales, les études animales ont été parmi les pionnières de ces nouvelles formations théoriques. Par conséquent, elles ont également été parmi les premières à débattre d’un paradoxe de l’anthropocentrisme qui semblait intrinsèque à l’impératif de développer des savoirs non anthropocentriques. En examinant leurs propres présupposés, les études animales se sont de plus en plus inquiétées de la nature aporétique d’animaux constitués en objets d’études humaines. Au tournant du millénaire, Erica Fudge a formulé avec une clarté exceptionnelle l’énigme éthique au cœur de cet exercice en affirmant qu’ « au lieu de saper la domination de l’humanité, étudier les animaux peut en fait mettre en évidence la centralité persistante de l’humanité : paradoxalement, les divers formes d’anthropocentrisme que l’étude des animaux pourrait tenter de contrer sont reproduits par son existence même ». « Nous déchiffrons les animaux », poursuit Fudge, « comme s’il s’agissait de textes, tout comme les cultures humaines ont exploité les animaux comme s’il s’agissait d’objets »Erica Fudge, « Introduction to Special Edition : Reading Animals », Worldviews 4, no 2 (2000), 103..
Les paradoxes de l’anthropocentrisme dans l’anthropocène
À la fin du 20ème siècle, deux paradoxes majeurs de l’anthropocentrisme se sont cristallisés dans la pensée environnementale et la recherche universitaire. Ces paradoxes mettent en évidence les subtilités de l’anthropocentrisme, ancré dans la vision moderne à la suite de la révolution scientifique. D’une part, après des siècles d’action et de pensée anthropocentriques, la conclusion est devenue inéluctable: la poursuite moderne des objectifs humains pourrait avoir pour conséquence de mettre fin à l’entreprise sociétale humaine en rendant la planète inhospitalière pour notre espèce. D’autre part, les premiers efforts visant à surmonter l’anthropocentrisme semblaient eux-mêmes reproduire les hypothèses et les pratiques centrées sur l’homme qu’ils espéraient démanteler.
Arrive alors l’Anthropocène. Au moment où s’est cristallisé le deuxième paradoxe de l’anthropocentrisme, le concept d’Anthropocène s’est largement diffusé. Et, comme nous l’avons vu plus haut, dans l’ensemble des recherches sur l’Anthropocène à travers différentes disciplines, les schémas d’action et de pensée anthropocentriques persistants sur la longue durée historique ont été tenus pour responsables des crises de l’Anthropocène d’aujourd’hui.
Qu’advient-il alors des paradoxes de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène ? Les anciens paradoxes de l’anthropocentrisme (intrinsèques à la modernité) sont-ils simplement enveloppés dans le nouveau contexte de l’Anthropocène ? Ou bien disparaissent-ils, tout en étant remplacés par de nouveaux paradoxes ? Eh bien, ni l’un ni l’autre - et les deux à la fois. Il me semble que les paradoxes modernes de l’anthropocentrisme acquièrent une nouvelle dimension en étant mis à l’échelle de l’Anthropocène, tandis qu’en même temps, de nouveaux paradoxes apparaissent en vertu de nouvelles formes d’anthropocentrisme et d’anti-anthropocentrisme. En résulte un tableau assez complexe dans lequel l’action et la pensée anthropocentrées sont remises en question sur tous les fronts et, en même temps, persistent jusque dans cette remise en question.
Je voudrais brièvement passer en revue les paradoxes de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène en en distinguant quatre qui me semblent particulièrement centraux. Je tenterai d’articuler ces paradoxes sous la forme de quatre thèses, avant de conclure. Deux de ces paradoxes ne sont que des paradoxes anciens prenant de nouvelles dimensions avec l’Anthropocène, tandis que les deux autres représentent des paradoxes nouveaux, spécifiques à la situation difficile de l’Anthropocène. Cependant, qu’ils soient anciens ou nouveaux, les paradoxes de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène présentent une caractéristique déterminante que les pages à venir mettront en lumière : leur caractère systémique.
1. L’anthropocentrisme est un moteur de l’émergence de l’Anthropocène
Pour comprendre ce que signifie le caractère systémique des paradoxes de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène, examinons, comme point de départ, comment le paradoxe que Christopher Manes a attribué à la pensée environnementale de la fin de la modernité est désormais lié à l’Anthropocène lui-même. Le paradoxe qui en résulte est en quelque sort le plus simple et probablement celui auquel le contexte de l’Anthropocène apporte le moins de valeur ajoutée, au-delà de sa systématicité nouvellement acquise. Mais c’est précisément ce qui le rend très emblématique de la manière dont le caractère systémique rend les paradoxes de l’Anthropocène qualitativement différents des paradoxes environnementalistes antérieurs.
Alors que l’environnementalisme du vingtième siècle a déjà pris conscience que la conséquence de la poursuite unilatérale d’objectifs strictement humains est une planète qui ne supporte plus aucune poursuite humaine, le même argument dans le contexte de l’Anthropocène voit l’action anthropocentrée comme le moteur des transformations du système Terre. L’enjeu n’est plus l’altération de la « nature » ou de l‘« environnement », dont on peut facilement affirmer qu’ils ont une histoire aussi longue que celle de la vie humaine. Ce que les modes d’action centrés sur l’homme acquièrent dans l’Anthropocène, c’est une nouvelle forme d’agentivité à des échelles jusqu’alors inconcevables : celle du système TerreSur l’agentivité du système terrestre, voir Simon et Thomas, « Earth System Science, Anthropocene Historiography, and Three Forms of Human Agency », art. cit., notamment 404-406..
2. Le dépassement de l’anthropocentrisme est la finalité humaine suprême à l’âge de l’Anthropocène.
En interrogeant leurs propres hypothèses, les études animales ont rencontré un paradoxe qui concerne la plupart, sinon la totalité, des savoirs et des pratiques sociétales anti-anthropocentriques : la reproduction de l’anthropocentrisme par les tentatives de le surmonter. Comme pour le cas précédent, transférer ce paradoxe dans le cadre de l’Anthropocène signifie lui conférer un caractère systémique.
Dans l’Anthropocène, l’impératif de s’abstenir de traiter la planète et la vie planétaire comme des moyens au service de fins humaines devient l’ultime fin de l’humanité qui vise à assurer le maintien de sa forme de vie. Ou, comme je l’ai formulé ailleurs, l’anthropocentrisme inéluctable des formes contemporaines de post-, de non- et d’anti-anthropocentrisme est fourni par le fait qu’il importe aux humains que les humains importent moinsZoltán Boldizsár Simon, « Two Cultures of the Posthuman Future », History and Theory 58:2 (2019), 180.. Réduire l’anthropocentrisme et développer des schémas de pensée et d’action non anthropocentriques est désormais dans l’intérêt bien compris des sociétés contemporaines, une fin très humaine qui exige une réalisation immédiate. Si les humains d’aujourd’hui doivent traiter différemment les formes de vie non-humaines, la nature et l’environnement, c’est parce que c’est le meilleur moyen de servir les fins humaines du moment.
Le paradoxe ici n’est pas seulement philosophique et souligne combien le démantèlement de l’anthropocentrisme reste à penser par les humains. Le paradoxe systémique du dépassement de l’anthropocentrisme dans l’Anthropocène consiste à continuer de mobiliser tous les moyens pour atteindre des objectifs humains, quoi qu’exige l’intérêt bien compris, et à constater qu’à ce stade le principal moyen est devenu l’anti-anthropocentrisme lui-même. Mais si l’anti-anthropocentrisme est le moyen, il doit aussi y avoir une fin. Et, dans les discussions récentes sur le dépassement de l’anthropocentrisme, la fin dont l’anti-anthropocentrisme est le moyen semble aussi élémentaire que possible : la survie de l’humanité.
Cela ne veut pas dire que le fait de voir l’humain imbriqué dans un réseau de vie planétaire ne serait pas un impératif éthique, politique, social et culturel souhaitable, face à des siècles d’exploitation humaine de la planète et de ses formes de vie, organiquement liée à l’exploitation des pauvres par les riches dans le domaine socio-politique. Le paradoxe montre simplement que même si le dépassement de l’anthropocentrisme est souhaitable, il l’est précisément parce qu’il est présenté comme un moyen sans alternative pour réaliser l’objectif primordial qu’est la survie de l’humanité.
Pour illustrer les deux premiers paradoxes, prenons l’exemple du raisonnement d’Eileen Crist et Helen Kopnina, datant de 2014. Même sans formuler explicitement leur point de vue dans le contexte de l’AnthropocèneCrist critique en fait le concept de l’Anthropocène, considérant ce qu’elle appelle la « littérature de l’Anthropocène » et la « pensée de l’Anthropocène » comme des discours responsables de la naturalisation de l’impact de l’homme. Voir Eileen Crist, Abundant Earth : Toward an Ecological Civilization (Chicago : University of Chicago Press, 2019.), 94-102. La suite du texte reviendra sur la question de savoir dans quelle mesure ces interprétations, malgré tous leurs mérites, méconnaissent le concept d’Anthropocène issu des sciences du système Terre., leur raisonnement témoigne du caractère inédit à la fois du fonctionnement de l’anthropocentrisme et de la nécessité de dépasser l’anthropocentrisme dans le cadre systémique des transformations anthropiques en interaction à l’échelle planétaire :
« Pourtant, aujourd’hui, il y a quelque chose de nouveau sous le soleil : une reconnaissance nouvelle de la nécessité de contenir les effets secondaires néfastes de l’expansionnisme humain. Cette nécessité est apparue parce que le mépris de toute limite à la croissance économique, à l’augmentation de la population, à la production alimentaire industrielle, à l’utilisation de l’énergie et à l’extension des établissements humains et des infrastructures industrielles, se retourne contre l’humanité elle-même. La progression ininterrompue de l’entreprise humaine – qui ne posait jusqu’à présent aucun problème en n’ayant de conséquences que pour les autres que l’on pouvait ignorer – se ramifie de manière à mettre en péril toute personne et peut-être la civilisation dans son ensemble : changement climatique rapide, pénuries d’eau, pollution et épuisement des ressources, pour ne citer que quelques problèmes prioritaires pour le bien-être de l’humanité. Un sentiment croissant de troubles imminents à l’horizon de l’humanité est le trait caractéristique de notre époque.Eileen Crist et Helen Kopnina, « Unsettling Anthropocentrism », Dialectical Anthropology 38 (2014), 391. »
Au terme de ce « sentiment croissant de troubles » que Crist et Kopnina associent à la mise en danger “de toute personne et peut-être [de] la civilisation dans son ensemble », se trouve, bien entendu, l’interruption de l’entreprise sociétale humaine, dans le meilleur des cas, ou l’interruption de la vie humaine sur Terre, dans le pire des cas. L’impératif anti-anthropocentrique est mobilisé, dans la société comme dans la recherche, afin d’éviter de tels scénarios. En ce qui concerne ce dernier point, c’est peut-être Ewa Domanska qui établit le lien le plus fort entre la survie humaine en tant que fin et l’anti-anthropocentrisme en tant que moyen. En plaidant pour l’intégration des études historiques dans une famille plus large de sciences humaines et sociales post-anthropocentriques, Domanska répond à la question « de quel type de sciences humaines avons-nous besoin aujourd’hui ? » en affirmant que « nous avons besoin de connaissances, de savoirs et de sciences humaines qui ont une valeur pour la survie et peuvent aider à la protection et à la continuation de l’espèce.Ewa Domanska, « Beyond Anthropocentrism in Historical Studies », Historein 10 (2010), p. 121. »
3. L’Anthropocène à la fois décentre l’humain et invite à l’anthropocentrisme
Alors que les anciens paradoxes de l’anthropocentrisme s’enrichissent dans la situation contemporaine en acquérant un caractère systémique, les nouveaux paradoxes émergent en tant que paradoxes systémiques en vertu du fait qu’ils sont intrinsèques à l’Anthropocène. Comme dans le cas précédent, le paradoxe tourne autour de l’objectif d’assurer la poursuite de l’entreprise humaine, mais cette fois-ci, il est profondément associé à l’Anthropocène.
Le concept même d’Anthropocène – concept par lequel l’Anthropocène est à la fois conçu et conceptualisé – implique déjà un double mouvement qui décentre et recentre en même temps l’humain. Cela ne signifie pas pour autant que le concept d’Anthropocène soit anthropocentrique en soi. Bien au contraire. La pensée systémique des sciences du système Terre qui sous-tend le concept de l’Anthropocène fait exactement le contraire de ce que la critique des sciences humaines et sociales lui attribue habituellement : elle décentre l’humain en le considérant dans une vision relationnelle des sous-systèmes en interaction du système Terre. La pensée systémique de la Terre – comme toute autre pensée systémique – ne connaît pas de centre. Il s’agit d’un mode de pensée holistique dans la mesure où elle considère la Terre comme système intégré, et d’un mode de pensée relationnel dans la mesure où elle perçoit un réseau complexe d’interactions entre les sous-systèmes.
Cependant, si la pensée systémique relationnelle de la Terre décentre l’humain, elle ne le fait que pour attirer l’attention sur la façon dont l’activité humaine au niveau systémique transforme le système Terre et le pousse vers des états de son fonctionnement qui ne sont potentiellement plus hospitaliers pour les sociétés humaines. Autrement dit, le terme scientifique d’Anthropocène décentre l’humain uniquement dans le but de faciliter les actions humaines qui permettraient d’éviter les trajectoires du système Terre pouvant mettre en péril pour le projet de l’humanité sur la planète. Et la mobilisation de l’action humaine à l’échelle planétaire, la mobilisation de l’action visant à éviter ce qui semble être une catastrophe pour les humains, invite à une vision anthropocentrique qui, encore une fois, voit la planète en termes de ce qui convient à l’entreprise humaine.
Le système Terre n’a pas d’états périlleux ni de perspectives catastrophiques en tant que tels ; il n’a d’états périlleux et de perspectives catastrophiques que pour les perceptions humaines. Quelle que soit la position de chacun dans le débat sur l’Anthropocène, il semble y avoir un large consensus sur le fait que les perspectives de l’Anthropocène sont potentiellement désastreuses, voire cataclysmiques. C’est dans cet esprit que les articles scientifiques sur le système Terre parlent de trajectoires du système Terre qui seraient « incontrôlables et dangereuses pour beaucoup de gens » et poseraient potentiellement « des risques graves pour la santé, les économies, la stabilité politique […] et, en fin de compte, l’habitabilité de la planète pour les humains »Will Steffen et al. « Trajectories of the Earth System in the Anthropocene », PNAS 115, no 33 (2018), 8256.. C’est dans cet esprit que la critique des sciences humaines et sociales appelle à dépasser l’anthropocentrisme, comme dans les propos cités plus haut sur la façon dont « la progression inintérrompue de de l’entreprise humaine » met désormais « en péril toute personne et peut-être la civilisation dans son ensemble »Crist et Kopnina, « Unsettling Anthropocentrism, » 391.. Et c’est dans cet esprit que les conceptualisations de la situation difficile de l’Anthropocène dans les sciences humaines et sociales – telles que la « Grande Contraction Planétaire »Patrice Maniglier , « Des Temps Modernes aux Temps qui restent : Histoire et avenir d’une revue, histoire et avenir du monde », Les Temps qui restent, Numéro 1, Printemps (avril-juin) 2024., 324-380.) se référant au rétrécissement de la place disponible pour les humains dans l’Anthropocène – continuent à mettre en lumière la situation difficile contemporaine comme centrée sur le sort de l’humain sur la planète Terre, malgré le fait que le concept d’Anthropocène dans la science du système terrestre ne concerne pas les humains, mais le système Terre.
Dès que l’avenir semble catastrophique, l’exigence d’agir contre la réalisation d’un tel avenir apparaît. Et, une fois encore, quelles que soient les particularités du type d’action qu’on préconise, le simple fait d’agir pour éviter une catastrophe à l’échelle planétaire exige une action humaine à l’échelle planétaire qui continue d’interférer avec la planète et la vie planétaire en vue de satisfaire des besoins humainsZoltán Boldizsár Simon, The Epochal Event : Transformations in the Entangled Human, Technological, and Natural Worlds (Cham : Palgrave 2020).. Il existe évidemment des différences cruciales entre plusieurs positions: la défense d’un « pilotage planétaire », comme le font certains articles scientifiques sur le système Terre en essayant de maintenir les trajectoires du système terrestre sur la « Terre stabiliséeSteffen et al, « Trajectories of the Earth System in the Anthropocene » ; Will Steffen et al, « The Anthropocène : From Global Change to Planetary Stewardship », AMBIO 40 (2011), 739-761. »; se ranger du côté de l’écomodernisme en visant à augmenter les capacités technologiques et poursuivre le projet moderniste de maîtrise de la nature en imaginant la perspective d’un « bon AnthropocèneJohn Asafu-Adjaye et al, An Ecomodernist Manifesto (2015), 6. Disponible sur : https://static1.squarespace.com/static/5515d9f9e4b04d5c3198b7bb/t/552d37bbe4b07a7dd69fcdbb/1429026747046/An+Ecomodernist+Manifesto.pdf. »; ou appeler à réduire l’échelle de l’entreprise humaine et démanteler l’expansionnisme humainCrist, Abundant Earth ; Eileen Crist, « Reimagining the Human », Science 362, Issue 6420 (2018), 1242-1244.. Toutes différences mises à part, ces formes d’action restent finalement nécessairement planétaires dans leur caractère et anthropocentriques dans leurs objectifs.
4. Même l’idée de l’extinction volontaire de l’humanité reste anthropocentrique, car elle part du principe que l’homme sait mieux que quiconque ce qui serait le mieux pour la planète
L’anthropocentrisme semble indestructible. Si vous le mettez dehors par la porte, il revient par la fenêtre. Il semble que, tant qu’il y aura des humains, il y aura de l’anthropocentrisme. Et si les humains n’existaient plus ? Et si nous ne nous contentions pas de réduire l’empreinte humaine sur la planète, mais que nous éliminions l’existence humaine une fois pour toutes afin que la vie planétaire puisse prospérer ? Pour être clair, il ne s’agit pas de questions hypothétiques que j’envisage pour le plaisir d’une argumentation abstraite, mais de questions qui animent certaines positions en marge des débats environnementaux et des discussions sur l’Anthropocène.
Les dernières décennies ont vu l’émergence de courants de pensée qui considèrent l’extinction volontaire de l’humanité comme une réponse adéquate à la reconnaissance du rôle de l’activité humaine dans l’émergence et les crises de l’Anthropocène. Le Voluntary Human Extinction Movement (VHEMT) a commencé à prôner l’extinction humaine par la non-reproduction dès 1991Pour les objectifs du mouvement, voir leur site web : VHEMT., avant la diffusion du concept de l’Anthropocène, mais déjà à un moment où le caractère systémique de la crise était de plus en plus reconnu. Aujourd’hui, trente ans plus tard, le Manifeste Ahumain de Patricia MacCormack fait écho aux idées de VHEMT sur l’abandon progressif de l’existence humaine, mais cette fois-ci plus explicitement dans le contexte de l’Anthropocène (même si la compréhension de l’Anthropocène par MacCormack n’a pas grand-chose à voir avec le concept tel qu’il a émergé dans les sciences du système terrestre)Patricia MacCormack, The Ahuman Manifesto : Activism for the End of the Anthropocene (Londres : Bloomsbury, 2020)..
Ce qui rapproche l’ahumanisme et les arguments du VHMET, c’est que tous deux invitent à poursuivre l’objectif de l’extinction humaine par la voie non violente de la non-reproduction, et présentent celle-ci comme la seule action éthiquement acceptable pour autant qu’on prenne au sérieux l’impératif de décentrer l’humain et tant qu’on valorise une vision centrée sur la Terre ou sur la vie. De plus, le VHEMT et MacCormack présentent l’argument de l’extinction humaine non seulement comme une éthique souhaitable, mais aussi comme la seule éthique véritablement non-anthropocentrique. Dans le même ordre d’idées – et en accord avec l’analyse des pages précédentes – l’ahumanisme de MacCormack soutient que l’objectif d’assurer la survie de l’humanité ne peut que rester centré sur l’homme. En établissant un contraste entre les prémisses de la rébellion contre l’extinction et l’ahumanisme, MacCormack critique l’anthropocentrisme de la première, qui voit « la menace de la crise écologique principalement à travers le prisme d’une menace pour la survie humaine », et qui, contrairement à l’ahumanisme, « ne laisse aucune place à la grâce du geste de se mettre à l’écart et d’embrasser l’extinction humaine pour que puisse prospérer le monde »MacCormack, The Ahuman Manifesto, 146..
Si les affirmations analytiques de MacCormack sur les modèles d’anthropocentrisme retenus semblent correctes, il est bien plus douteux que l’ahumanisme offre une perspective véritablement non-anthropocentrique. Je suppose que laisser le monde s’épanouir vise à être libérateur d’une manière ou d’une autre, en libérant le monde de l’exploitation humaine. Mais que signifie exactement l’épanouissement du monde ? Qui décide de ce qui rend la planète et la vie planétaire « florissantes » ? Pour qui exactement le monde apparaît-il comme florissant ? C’est bien sûr la perception humaine qui considère la planète comme florissante – et elle le fait en fonction de ce qui plaît à l’œil et à l’esprit humain. La plupart d’entre nous préféreraient peut-être penser automatiquement qu’un tel état florissant de la planète ou du système terrestre ne porte pas l’empreinte de l’homme. Que cette image de la planète florissante soit antérieure à l’émergence des sociétés humaines ou qu’elle soit simplement l’image d’un endroit sur Terre (au moins, relativement) hors de portée de l’homme, il s’agit d’une image sans humains, ou, plus précisément, sans humains de sociétés technologisées. En même temps, cependant, c’est aussi une image profondément humaine. C’est une image humaine d’une planète sans humains, une image qui associe l’abondance de la vie planétaire à l‘« épanouissement », et une image vivante que vous voyez sur l’écran large de votre télévision en regardant un documentaire sur la flore et la faune amazoniennes sur la chaîne National Geographic, plutôt qu’une image de la planète rocheuse de l’ère archéenne, avant l’émergence de la vie complexe.
Supposer qu’on sait ce qui est bon pour la planète et ce qui satisferait l’existence d’une planète sans humains constitue, bien sûr, un sentiment très compréhensible, mais très anthropocentrique aussi. L’extinction volontaire de l’humanité prône une décision humaine au nom de la planète et de l’ensemble de la vie planétaire et feint de savoir ce qui est « bon » même pour une planète définie par l’inexistence humaine, et associe cette « bonté » à une image de la planète esthétiquement attrayante pour les modes de perception humaine socialement légitimes. En fin de compte, même s’il existe de nombreuses raisons de considérer l’extinction volontaire de l’humanité comme une forme plus conséquente de non-anthropocentrisme, il semble qu’il y ait tout autant de raisons de considérer qu’il s’agit d’un anthropocentrisme poussé à l’extrême. La prémisse non examinée de l’extinction volontaire de l’humanité est que, même en l’absence d’humains, le monde doit avoir une fin humaine.
Contre toute probabilité de succès
De tels paradoxes sont intrinsèques à la fois aux différentes formes d’anthropocentrisme et aux différentes formes d’anti-anthropocentrisme ou de non-anthropocentrisme. L’existence même de ces paradoxes rend-elle inutiles les efforts visant à réduire voire dépasser l’anthropocentrisme ? Absolument pas !
Les enjeux de l’Anthropocène pour l’entreprise sociétale humaine sont clairs. Développer des schémas d’action et de pensée dans les sociétés contemporaines technologisées qui ne considèrent plus la planète et la vie planétaire comme des moyens d’atteindre les objectifs humains reste un impératif sociétal essentiel de la situation problématique de l’Anthropocène. Les paradoxes montrent que l’impératif a ses limites. Mais rendre ces limites visibles ne revient pas à contrarier le développement de modèles d’organisation sociale moins anthropocentriques voire, plus conséquemment, non anthropocentriques. Bien au contraire. Ce que ces paradoxes révèlent, c’est que les efforts qui doivent être mobilisés pour réaliser quoi que ce soit qui ressemblerait de près ou de loin à un abandon de cet anthropocentrisme qui traite la planète comme un terrain de jeu pour les humains sans tenir compte de la planète elle-même, que de tels efforts dépassent largement le niveau des efforts actuels.
Connaître les paradoxes, c’est savoir qu’il faut aller beaucoup plus loin. Cela signifie être conscient des probabilités, ainsi que du fait que travailler pour surmonter l’anthropocentrisme revient à travailler contre toute probabilité de succès. En conséquence, les gains potentiels sont proportionnellement énormes. Étant donné l’imbrication des schémas d’exploitation dans les relations avec la planète et la vie planétaire, d’une part, et des schémas d’exploitation dans les relations entre les humains, la réduction de l’échelle des premiers pourrait potentiellement entraîner la réduction de l’échelle des seconds. Il est vrai qu’il pourrait également s’agir d’une affirmation anthropocentrique – mais, là encore, il s’agirait d’un paradoxe supplémentaire de l’anthropocentrisme qu’il conviendrait d’accepter.