Chemin lumineux. Rencontre, ce 10 avril 2025, avec les réalisatrices Mary Jiménez et Bénédicte Liénard. Elles sont venues présenter leur film, Fuga (2024), en avant-première, dans les murs du cinéma indépendant Le Churchill (Les Grignoux). Beau film, échanges joyeux et malicieux avec le public après la projection. La joie du travail à deux : « On a déjà fait des films seules, mais à deux, on construit une troisième cinéaste qui est faite de nous deux. C’est un peu miraculeux cette troisième cinéaste. Être réalisateur, c’est très solitaire et difficile et c’est moins difficile à deux et plus créatif. » (Entretien du 24 mars 2025 sur le site Cinergie.be) Avant Fuga, elles ont déjà réalisé ensemble plusieurs films situés dans l’Amazonie péruvienne : Sur les braises (2013), Le Chant des hommes (2015), By the Name of Tania (2019). Elles ont aussi écrit la pièce Sortir du noir (2019), à partir de récits de migration de la Tunisie vers l’Europe. Se situant entre fiction et documentaire, les films de Jimenez et Liénard nous invitent à chaque fois à réactiver nos mémoires, mais « sont toujours des films au présent ». Fuga raconte la répression des femmes adultères, des prostituées et des homosexuel·les par les groupes armés communistes du MRTA et du Sentier lumineux dans les années 1980 et 1990.
Fausse intersection. Nous sommes le vendredi 20 mars, dans la friterie de chez Momo à Herstal. Il y fait très calme, pour un vendredi soir.
— C’est à cause du ramadan ?
— Non, répond Momo, c’est juste la fin du mois.
Remake. Un cours d’initiation aux outils audiovisuels inscrit au programme du bachelier en Information et communication amène les étudiant·es de l’Université de L*** à réaliser le remake d’une séquence d’un film contemporain. Cette année, le critère imposé pour le choix des films n’est pas thématique mais porte sur l’auteur de l’œuvre originale : les films choisis par les étudiant·es doivent avoir été réalisés par une cinéaste. Parmi les travaux soumis se trouve la séquence d’ouverture de Grave de Julia Ducornau. La reconstitution de la scène du restoroute a eu lieu dans la cafétéria de l’université. Une des serveuses s’est prêtée au jeu et y fait une brève apparition pour cette réplique : « Pas de protéines ? » La veille de la projection, un professeur, de passage à la cafétéria, aborde la serveuse : « J’ai appris que vous jouiez dans un film de nos étudiantes. Il paraît que vous passez très bien. » Elle répond, en riant : « Ah oui… C’était bien ? Je peux aller à Hollywood alors. » Les autres serveuses éclatent de rire. Le professeur lui signale ensuite que la projection publique des travaux aura lieu le lendemain à 19h30 et l’invite à y assister. Il précise : « L’occasion est toujours assez festive, et les étudiants sont très fiers de leurs réalisations. » La serveuse répond, en faisant la grimace : « Ah, mais non, non, je ne préfère pas… C’est toujours bizarre de revenir à l’université le soir. »
La formation du gouvernement. La nuit du 6 au 7 février 2025 fut marquée par ce qu’on a pris l’habitude de nommer un « marathon de négociations » en vue de la formation du gouvernement fédéral belge. Après plus de quarante heures de débats, les partis de la coalition de centre-droit ont accordé leur confiance au Premier ministre. Le programme de ce gouvernement se distingue notamment par des coupes budgétaires sans précédents dans les secteurs des services publics et des droits sociaux.
Durant la même nuit, une fusillade a éclaté dans le quartier Peterbos d’Anderlecht, l’une des plus importantes cités de logements sociaux de la région.
Bilan : un mort.
L’importance du choix. Centre-ville de Liège, une rue commerçante. Deux jeunes filles visiblement en quête balaient du regard les vitrines. Elles ralentissent devant un magasin qui prend la forme d’une sorte de profond couloir ouvert sur la rue : aussi loin qu’on puisse apercevoir à l’intérieur, les parois en sont tapissées intégralement de coques de protection de téléphones portables. Devant cette mosaïque d’infinies et subtiles variations de formes et de couleurs, l’une des jeunes filles dit à l’autre : « Là c’est que de la merde, mais y’a du choix. »
Go Pro ! Dans un contexte tendu, déterminé par les travaux du nouveau gouvernement qui élabore un ensemble de mesures affaiblissant drastiquement les subsides octroyés à la culture, le président du Mouvement Réformateur (MR, droite libérale francophone) déclare dans une interview qui fait suite à la cérémonie des Magritte : « Regardez les frères Dardenne, il y a un ratio qui n’est pas hyper rentable. Ils ont décroché leur première Palme d’Or au festival de Cannes, il y a plus de 25 ans avec Rosetta… Objectivement pour faire Rosetta, il suffit de prendre une caméra et de venir à Mons Borinage… C’est mon quotidien. Je suis président d’un club de foot qui est situé à Boussu, s’ils veulent tourner Rosetta, qu’on me donne une caméra Go Pro, je sais le faire… »
Terre brûlée. « Nos manières de nous exprimer et de nous présenter à autrui constituent les fondements d’un monde juste et d’un tissu humain. Celles-ci dessinent la base fragile mais indispensable des solidarités sociales – or elles sont de plus en plus manipulées, monétisées, banalisées, simulées et récupérées comme autant de “données exploitables”. » (Jonathan Crary, L’écorchement du monde, « Postface à l’édition française », 2025)
Arguments publicitaires. « Travaux terminés et route bien dégagée devant L’Univers de l’automobile, votre concessionnaire Suzuki à Liège et Herstal. » (Spot radio). « La Tuile Tempête variable. Désormais disponible en 3 couleurs. Nous avons demandé à des couvreurs quelle serait pour eux la Tuile Tempête idéale. Cela s’est traduit par une tuile innovante avec un grand emboîtement de tête variable de pas moins de 25 mm et un emboîtement latéral variable de 4 mm. L’avantage ? Plus besoin, dans la plupart des cas, de recourir à des ½ tuiles ou à des ¾ de tuiles. D’où un énorme gain de temps et, donc, un rendement plus élevé. De plus, ce super produit belge arbore un look élégant. Vous avez le choix parmi trois couleurs : outre en Noir mat stylé, cette tuile est désormais également disponible en Rouge naturel et en Rustique. » (Encart publicitaire). « Dans la vie, tout ne doit pas aller super vite. Sauf votre internet. » (Affichage de rue). « Il n’y en aura pas pour tout le monde. » (Spot radio). « Comment m’habiller pour ne pas fondre ? » (Affichage de rue).
Égalité sans concession. Le journal Le Soir a consacré récemment un beau portrait à la juriste belge Françoise Tulkens (« Racines élémentaires », 12-13 avril 2025). Juge à la Cour européenne des droits de l’homme de 1998 à 2012, présidente en 2016 du Tribunal citoyen Monsanto, qui condamna la multinationale, F. Tulkens est une des principales figures intellectuelles du Royaume. Lorsqu’elle était professeure à l’Université catholique de Louvain, où elle a promu la discipline criminologique, elle fut l’instigatrice du célèbre cours de Michel Foucault à Louvain, en 1981, « Mal faire, dire vrai. Les fonctions de l’aveu ». Tulkens n’avait pas hésité, « dans un petit coup de folie », à aller sonner à la porte de Foucault pour l’inviter. Elle retint du philosophe une exigence pratique : « Les problèmes de la cité sont tels que nous devons tous en prendre notre part. » Et un positionnement : « Quand tu es attachée au droit et aux droits humains, tu ne peux pas être hors de la vie. C’est impossible. » Le portrait du Soir souligne aussi une histoire des sensibilités politiques au XXe siècle. Le parcours de F. Tulkens comme juriste spécialisée dans le pénal, la protection de la jeunesse et les droits humains, comme femme et intellectuelle soucieuse des droits culturels, a été marqué, à dix-sept ans, de manière décisive, par une conférence à Bruxelles d’avocats français et belges qui défendaient des membres du FLN en Algérie, puis, dix ans plus tard, en 1969-1970, par un séjour de recherche à Columbia University, où elle éprouva « de l’intérieur » l’expérience de la conquête des droits civiques. Au sein des intellectuelles féministes, elle n’a jamais souhaité se présenter comme « une pionnière du féminisme », mais toujours comme dépositaire de l’héritage de Françoise Collin, Jacqueline Aubenas et Éliane Vogel-Polsky, une autre grande juriste belge, qui a soutenu « un combat européen pour l’égalité » autour de la revendication À travail égal, salaire égal portée par les ouvrières de la FN (Fabrique Nationale d’Armes de Guerre) de Herstal, près de Liège, au long des années 1960 et 1970.
Titre. À l’occasion du décès de l’actrice belge Émilie Dequenne, le quotidien francophone La Libre Belgique titre : « Émilie Dequenne : Rosetta a perdu son dernier combat. »